"Je dors dans un
foyer sur un matelas récupéré dans une poubelle, je suis seul en France",
indique Ibrahima, 17 ans (tous les prénoms ont été modifiés). "Je dors dans la rue, j'ai déjà été agressé
par une personne, je ne me sens pas en sécurité de dormir dans la rue",
déclare Bertrand, 16 ans. "J'ai été
deux fois à l'hôtel et hébergé par une personne qui m'a proposé des relations
sexuelles, rien n'a été facile pour moi ici", confie Mamadou, 17 ans. Des
témoignages de cet ordre, émanant de mineurs étrangers sans famille ni adulte
investi de leur responsabilité sur le territoire français, Médecins du monde (MDM)
en a recueilli pléthore. De fait, après le parcours souvent difficile – c'est peu
de le dire –accompli par ces jeunes migrants, l'arrivée en France ne signifie
pas forcément la fin des souffrances.
Les mineurs non
accompagnés (MNA) sont nombreux à venir dans les centres d'accueil et de soins
de MDM. Il s'agit presque toujours de garçons, dont l'âge moyen avoisine les 16
ans et qui, dans près de 90 % des cas, vivent à la rue. Constatant leur état
alarmant au plan médical, mais aussi administratif et social, l'association a
mis en place des programmes spécifiques à leur intention. Le premier a démarré à
Paris en 2015, les autres à Caen, Rouen et Nantes, l'année suivante. L'idée est
de proposer un accompagnement psycho-médico-social adapté, d'une part aux primo-arrivants
dont la situation n'a pas encore été étudiée par les services départementaux de
l'Aide sociale à l'enfance, chargés de protéger les enfants en danger, quelles
que soient leur nationalité et la régularité de leur entrée ou de leur séjour en
France ; d'autre part, aux adolescents qui, après évaluation de leurs papiers et
de leur récit – parfois aussi en dehors de toute analyse de leur cas, sur la
seule foi de leur apparence physique – se
sont vu signifier un refus de protection (1). L'inconditionnalité de la prise
en charge des jeunes qui se déclarent mineurs non accompagnés ne s'entend, en
effet, que si leur minorité et leur isolement sont avérés. Ils sont alors
inexpulsables jusqu'à leur majorité.
En 2017, 243 adolescents ont été accueillis à la permanence parisienne
de MDM dédiée aux mineurs non accompagnés (2). Ils s'y sont présentés spontanément,
avertis de son existence par le bouche-à-oreille, ou ont été orientés vers elle
par différents acteurs (associations, collectifs citoyens, avocats, etc.). "Les jeunes que nous rencontrons, quasi
exclusivement des garçons, sont surtout venus d'Afrique subsaharienne (Côte
d'Ivoire, Mali, Guinée)", précise le Dr Daniel Bréhier, co-responsable
de ce programme animé par une équipe de 30 professionnels (généralistes,
pédiatres, psys, accueillants-accompagnants, assistante sociale, ...) – dont 27
bénévoles.
Les mineurs reçus à Paris par MDM n'ont pas été "mandatés"
par leur famille pour partir en quête d'un avenir meilleur en Europe, explique
le Dr Bréhier. Ils se sont mis en route à la suite de conflits familiaux, notamment
survenus après la mort de leur père et/ou de leur mère. Lorsqu'il s'est agi du
décès paternel, les jeunes ont été pris en charge par leur oncle qui ne les a
pas traités comme ses propres enfants – ils ont dû arrêter l'école et travailler
dans les champs ou sur les marchés. Quand c'est la mère qui a disparu, le père
s'est remarié et ce sont les relations avec la belle-mère qui ont fait
difficulté. Dans les deux cas, les adolescents ont commencé par fuguer, puis
ils ont fini par partir, avec d'autres, sans savoir où ils iraient.
Entrecoupés d'arrêts ici ou là, pour travailler ou parce que
les mineurs sont emprisonnés, "ces
voyages durent des mois et des mois, voire des années", souligne le Dr
Bréhier. Les jeunes y sont constamment confrontés à la violence, à la peur et à
la mort. En France, c'est à la rue, aux institutions et à la mise en cause de
leur parole qu'il leur faut faire face. "Compte tenu de l'importance de la parole
en Afrique, cette suspicion est particulièrement éprouvante pour eux",
commente le psychiatre.
A leur arrivée à la permanence de Médecins du monde, les adolescents
présentent souvent un état de santé général très dégradé : en 2017, 39 %
d'entre eux ont dû être immédiatement accompagnés vers une prise en charge
hospitalière. Ils sont encore plus nombreux à souffrir de troubles psychiques. Il
ne s'agit pas de pathologies psychiatriques proprement dites, mais de réactions
à ce qu'ils ont vécu (troubles du sommeil, de la mémoire, anxiété, syndrome de
stress post-traumatique). "Les jeunes
disent avoir la tête qui chauffe, ils sont fatigués de lutter contre les pensées
qui les assaillent, ils ont également du mal à se repérer dans le temps, lieux
et durées sont confondus", détaille le Dr Bréhier. Rien d'étonnant, du
coup, à ce que leurs récits soient aussi chaotiques qu'ont pu l'être leurs
périples. Or, lors de l'évaluation de leur situation, des détails extrêmement
circonstanciés leur sont demandés et les incohérences de leurs déclarations
conduisent à en questionner la véracité et, partant, celle de l'âge qu'ils
allèguent.
Précisément, aider les mineurs à remettre un peu de continuité
et de sens dans leur vie et dans leurs histoires est au fondement du soutien
que Médecins du monde leur apporte. Cela passe par des entretiens individuels,
ainsi que par des groupes de parole où les MNA se retrouvent à une dizaine. Des
consultations sociales permettent, par ailleurs, de répondre à leurs besoins
fondamentaux en les orientant vers des structures adaptées et de favoriser
l'ouverture de leurs droits.
Un nécessaire temps
de mise en confiance
"Les obstacles
dressés à l'encontre de l'accès aux droits et aux soins des enfants non
accompagnés et les négligences institutionnelles dont ils font l'objet
constituent des facteurs qui renforcent la vulnérabilité" de ce public
extrêmement fragilisé et surexposé aux dangers, pointe Médecins du monde. Le 8
février, plusieurs avocats ont d'ailleurs alerté les autorités sur la situation
"très préoccupante" de 128 mineurs
de 13 à 17 ans, nommément identifiés, "livrés
à eux-mêmes dans les rues de Paris, sans abri, par des températures négatives".
C'est ce type de constat qui conduit MDM à militer pour un nouveau modèle
d'accueil et de prise en charge des primo-arrivants. Les demandes d'évolution
portent tant sur un changement dans les pratiques et l'esprit de l'accueil des mineurs
(fin des refus-guichet – refus de protection fondé sur le "faciès" du
jeune, le jour même où il se présente pour une évaluation (3) –, mise à l'abri
inconditionnelle, écoute bienveillante), que sur une refonte du dispositif
lui-même. L'idée est de dissocier totalement l'accueil de l'évaluation, et de
faire de l'accueil un moment privilégié de répit et de soins. "Comme
il existe un temps incompressible avant l'évaluation – en moyenne 2 semaines à
Paris –, ce temps doit permettre de favoriser la mise en confiance des jeunes
et leur accès immédiat à des soins physiques et psychiques dispensés dans un
endroit neutre", déclare Sophie Laurant, co-responsable du programme
parisien de MDM.
Ces améliorations, cependant, sont-elles de saison ? A
l'heure où l'Etat entend retirer aux services départementaux d'Aide sociale à
l'enfance la responsabilité de l'hébergement provisoire d'urgence et de l'évaluation
des jeunes se disant mineurs non accompagnés, Médecins du monde en doute fort. Bien
sûr, les départements ont besoin de se voir allouer plus de moyens financiers
pour faire face au nombre d'arrivées grandissant d'adolescents étrangers (4).
Mais, transférer à l'Etat, compétent en matière d'immigration, la prise en
charge initiale de ces jeunes, en les écartant du dispositif de protection de
l'enfance, revient à nier leur minorité et les dangers qui les menacent, s'insurge
l'association. Ces mineurs sont d'abord des enfants, avant d'être des migrants,
plaide-t-elle.
Caroline Helfter
(1) De nombreux mineurs, qui ont été évalués
"adultes" par l'Aide sociale à l'enfance, passent souvent plusieurs
mois à la rue avant de voir leur minorité reconnue par un juge.
(2) Permanence pour
les mineurs non accompagnés le mercredi de 14h15 à 18h s'il s'agit d'une
première consultation, 15 Bd de Picpus, 75012 Paris. Contact : mie.idf@medecinsdumonde.net
(3) Selon MDM, 4000 des 7000 mineurs qui se sont présentés
en 2017 au dispositif d'évaluation des mineurs isolés étrangers de Paris s'en
sont vu refuser l'accès sur la base de leur apparence physique.
(4) Un rapport remis en janvier au Premier ministre indique qu'il
y a eu 71 962 évaluations de minorité et d'isolement en 2017. Dans 58 % des cas
(soit 41 741 jeunes), les adolescents ont été reconnus mineurs.
De rêves et de papier
(éditions La Découverte, 2017, 16 €)
Ils s'appellent Ali, Oumar, Daniel, Fatoumata, Mirjet,
Souley ou Youssef. Rozenn Le Berre les a côtoyés pendant un an et demi comme éducatrice
spécialisée chargée d'évaluer leur situation. "Pour chacun de ces jeunes ou moins jeunes, j'ai contribué à orienter la
décision", explique-t-elle. "Oui
ou non. Mineur ou majeur. L'école ou la rue. L'espoir de régularisation ou le
centre de rétention". Puis, elle a pris sa plus belle plume pour donner
à voir "la violence de ces destins
qui s'échouent sur les rives de l'administration française". Pari
réussi : c'est passionnant.
C.H.
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