En cette fin d'après-midi caniculaire, une centaine de
personnes sont rassemblées à Paris dans une atmosphère survoltée. Elles se
retrouvent ce vendredi 20 avril au Conseil régional d'Ile-de-France pour célébrer
la clôture d'un stage intitulé : "Rêv'Elles ton potentiel". Trente
jeunes filles, âgées de 16,5 ans en moyenne, y ont consacré leur première semaine
de vacances scolaires. Il s'agit d'une formation mixant dynamique de groupe et
développement personnel, destinée à permettre aux intéressées de faire émerger leurs
rêves d'avenir, de se révéler à elles-mêmes leurs principales forces et qualités,
et de puiser l'énergie, les informations et les contacts nécessaires à la mise
en branle des futurs envisagés.
Photo Dilan Pozza |
La session qui prend fin ce jour-là est la 13e de ce type organisée
depuis 2013. Module innovant d'aide à l'orientation scolaire et professionnelle
transposé d'une expérience britannique, il a été mis en place par l'association
Rêv'Elles à l'intention de jeunes Franciliennes de 14 à 22 ans vivant dans des
quartiers prioritaires. Pourquoi elles ? Parce qu'"aux obstacles socio-culturels auxquels se heurtent tous les enfants
issus de milieux modestes, s'ajoutent, pour les jeunes filles, l'auto-censure
et une certaine pudeur de l'ambition", répond Athina Marmorat,
fondatrice de Rêv'Elles. Et d'enfoncer le clou : "dans une société qui a appris à s'accommoder des inégalités entre les
genres et où les modèles féminins de réussite se font trop rares ou trop
discrets, les jeunes filles ont besoin qu'on leur redonne de l'espoir".
A écouter les adolescentes de la promotion Joséphine Baker –
comme à l'Ena, les stagiaires de Rêv'Elles baptisent leur groupe, mais en se rangeant
bien sûr toujours, quant à elles, sous la bannière d'une femme –, Athina
Marmorat a gagné son pari. Les jeunes filles réunies sont visiblement gonflées à
bloc, pleines d'optimisme et d'envie d'en découdre avec la vie. Comme la
slameuse Diariata N'Diaye, dont elles reprennent le refrain à tue-tête, les
stagiaires se revendiquent "femmes
libres et indépendantes". Ce sont aussi des femmes extrêmement motivées,
ce qu'a démontré, toute la semaine, la ponctualité de Franciliennes souvent
obligées de se lever très tôt pour rallier la capitale malgré la distance et les
grèves de cheminots. Ainsi Yousra, 15 ans, qui habite la Seine-Saint-Denis, devait
se réveiller à 5h30 pour se rendre dans le 13e arrondissement de Paris où le stage
avait lieu. Accessoirement, il a aussi fallu que l'adolescente se familiarise
avec l'utilisation des transports en commun. Mission accomplie : "maintenant, elle sait aller seule à Paris,
c'est formidable !", se réjouit sa maman.
Athina Marmorat (au micro). Photo Fabrice Viotty |
Les grandes
découvertes
En arrivant, les stagiaires marchent un peu sur des œufs. "On ne sait pas du tout dans quoi on
s'embarque, témoigne Emilie. L'aventure s'avère visiblement féconde. Ce que
les jeunes filles découvrent, au fil de la semaine, c'est d'abord elles-mêmes. "J'avais très peur de grandir, j'ai gagné
beaucoup de confiance pour l'avenir", déclare Emilie. "J'ai grandi et je me suis regardée d'un œil
nouveau", complète Ange. Et Lina de rebondir : "j'ai appris beaucoup sur moi, sur les autres
et surtout sur le métier que je veux faire ".
Pendant les trois premiers jours, les adolescentes alternent
ateliers collectifs et séances de coaching individuel visant précisément à les
aider à mieux se connaître et à fortifier leur estime d'elles-mêmes, à développer
leurs facultés d'expression, à élargir et mieux cerner leurs aspirations professionnelles.
Le jeudi, on sort des murs pour se confronter à la réalité du monde du travail :
le groupe dédoublé est allé passer la journée dans deux grosses entreprises, le
cabinet d'audit KPMG et la multinationale de la chimie Dow Chemical. Repérage des
métiers exercés dans ces entreprises, échanges avec des salariées et brèves simulations
d'entretiens de recrutement avec des professionnelles des ressources humaines :
cette immersion dans un univers aux codes inconnus ouvre aux jeunes filles des
horizons qui ne le sont pas moins et peut même susciter des vocations. Le
vendredi, enfin, point d'orgue de ce parcours : les stagiaires rencontrent des femmes
actives aux profils variés – architectes, créatrices d'entreprise, femmes
politiques, etc. –, à qui elles exposent leur projet d'orientation professionnelle
ou un projet plus général de vie, et qui s'ouvrent à elles de leur propre
itinéraire. Baptisées "rôles modèles", ces aînées tendent à leurs
cadettes un kaléidoscope irisé d'images d'identification positive.
Des femmes
inspirantes
Flavie Maurat, directrice des achats chez Atos, géant
mondial de services du numérique, fait partie de ces femmes inspirantes prêtes
à donner de leur temps pour conseiller et stimuler la génération montante.
"L'approche s'inscrit bien dans ma
volonté d'aider, de transmettre, qui plus est à des jeunes filles, donc à un
public pour lequel mon expérience en tant que femme peut être bénéfique",
explique Flavie Maurat. "Le but est
d'échanger avec les jeunes et de répondre à leurs questions par rapport à leurs
envies d'orientation, de voir aussi si, dans nos réseaux, on peut les connecter
à des gens susceptibles de leur être utiles", ajoute Flavie Maurat.
D'ailleurs elle-même, dont c'est la première participation à un stage
Rêv'Elles, a donné son mail personnel à une adolescente qui souhaite embrasser une
carrière commerciale. Plus ancienne dans la démarche, Nezha Kandoussi,
linguiste et agente de designers et d'artistes, a déjà eu l'occasion
d'accompagner quelques jeunes filles dans la durée. Par exemple en leur organisant
des rencontres avec des designers, ou en coachant de façon assez rapprochée une
adolescente en échec scolaire, qui était intéressée par les langues étrangères,
mais ne savait pas dans quelle profession se lancer pour tirer parti de cet intérêt.
"Nous avons un système qui est
toujours dans l'acquisition de connaissances, alors qu'elles sont aujourd'hui à
portée de main", analyse Nezha Kandoussi. "Ce qu'il faut développer, c'est le savoir-être. On doit chercher à mettre en phase des
vocations et des métiers, plutôt que simplement inscrire les gens dans des
cases et les faire entrer dans des boîtes, au sens propre comme au sens figuré".
Et après ?
Depuis 2013, 373 jeunes filles ont bénéficié d'un stage "Rêv'Elles
ton potentiel", proposé trois fois par an. Aiguillées vers cette formation
par le milieu associatif ou scolaire, ainsi que par les médias, les réseaux
sociaux ou le bouche-à-oreille, les candidates sont plus nombreuses que les
places. D'où une sélection faite sur des critères sociaux et sur leur
motivation. Lors du stage d'avril, Flavie Maurat a identifié deux catégories de
participantes : de très bonnes élèves qui manquent de confiance en elles et des
jeunes filles en situation de décrochage scolaire, qui ont besoin de faire le
point. Que deviennent les stagiaires une fois la session achevée et
l'enthousiasme groupal dissipé ? Pour que le soufflé ne retombe pas, les jeunes
filles bénéficient d'un an d'accompagnement au travers de deux ateliers collectifs
et deux séances de suivi individuel. Elles peuvent aussi participer à différentes
activités organisées par l'association – visites pédagogiques, sorties culturelles
ou cafés-débats sur des problématiques liées au pouvoir d'agir au féminin.
Document remis aux participantes à la fin du stage |
Nawel, a participé il y a trois ans à un parcours Rêv'Elles.
Alors âgée de 20 ans, elle avait arrêté ses études et enchaînait les petits
boulots. "Je ne savais pas quel
chemin prendre – ni s'il y avait vraiment un chemin pour moi",
confie-t-elle. Le stage lui a permis de trouver sa voie, assure la jeune femme qui
termine un master 2 de gestion des entreprises et veut créer la sienne. "J'ai compris l'importance de faire ce que
l'on veut faire, de s'en donner les moyens et de ne rien lâcher. J'ai aussi compris
que si je ne me bougeais pas, personne ne le ferait à ma place",
souligne-t-elle. La formation Rêv'Elles est "une chance inouïe pour les jeunes filles", commente Jamila
Abidi, mère de deux adolescentes qui en ont bénéficié. "Dommage que ça n'existe pas pour les
garçons. Ni pour les mamans....".