16 juin 2014

Bénévoles occasionnels, des bénévoles particuliers ? regard sur une fête de quartier à la Goutte d'Or

Regard d'une étudiante...
Pour terminer son diplôme de master en sciences humaines et sociales (économie et société - action publique/action sociale ) à l'université Paris Ouest, Caroline a choisi d'effectuer un stage auprès de l'association "la Salle Saint Bruno", une association du 18è arrondissement de Paris qui intervient notamment, avec d'autres associations, dans la préparation et la réalisation de la "la Goutte d'Or en Fête", fête organisée chaque année au mois de juin depuis le milieu des années 70, et qui marque un temps fort dans la vie du quartier durant trois jours.

Il s'agit d'une fête  attendue chaque année, très appréciée des habitants de ce quartier de la Goutte d'Or, un quartier connu depuis toujours pour la grande mixité de sa population. Il a en effet, dès le XIXè siècle, été un quartier où se sont fixés des immigrants, d'abord en provenance des campagnes françaises afin de pallier les besoins en main d'œuvre des usines de construction de chemins de fer, puis par vagues successives, au gré des évolutions géopolitiques mondiales ou des conditions socio-économiques ou politiques de certains pays....et des besoins importants de l'industrie française à l'époque des "trente glorieuses",  ne l'oublions pas ! Gervaise, l'héroïne de Zola, vivait à la Goute d'Or.  

Outre une présentation intéressante du quartier de la Goutte d'Or à l'histoire particulière et au "passé militant", le mémoire rédigé par Caroline ("Etre bénévole durant une fête de quartier : une forme spécifique de bénévolat ? l'exemple de la "Goutte d'Or en fête"") donne également un aperçu de la vie associative intense qui s'y déroule.

Ce mémoire est riche en informations et a retenu mon attention. Son contenu peut intéresser les associations qui organisent ponctuellement des fêtes de quartier.

La fête : une organisation très structurée
Caroline nous fait rentrer dans les coulisses de la préparation de l'évènement, phase essentielle pour la réussite de la fête, qui débute dès le mois d'avril par une information dans le quartier, la recherche de bénévoles, l'objectif étant de faire participer un maximum d'habitants et renforcer le lien social à cette occasion. Cette question demeure récurrente.

L'organisation de la fête nécessite la mise en place d'une véritable structure constituée bien en amont, dans laquelle les rôles sont répartis entre les associations (une dizaine) et les différents intervenants : portage administratif et organisation générale, direction artistique, coordination et médiation.
 Des sous-groupes sont ensuite constitués pour chaque activité : Bar, parade, catering, village festif, cuisine en fête, accueil des artistes, etc...., chaque sous-groupe ayant un référent chargé de faire "remonter" périodiquement l'avancée de son travail au groupe de coordination.

Les difficultés rencontrées parfois, lsont liées essentiellement à des problèmes inévitables de communication (difficulté à trouver des dates de réunions qui conviennent à chacun et à maintenir un maximum de démocratie dans les prises de décisions), les mails étant alors largement utilisés pour échanger et permettre un niveau d'information homogène.

Mais la principale difficulté demeure la mobilisation des habitants en amont de la fête. Elle se pose chaque année !

Caroline, quant à elle,  était chargée de recruter,  préparer et encadrer le groupe de bénévoles pour la fête 2013, et c'est à partir de cette mission qu'elle a décidé d'orienter la partie "analyse" de son mémoire et de travailler sur le profil des bénévoles, et plus largement, sur ce type de bénévolat ponctuel.

En amont de l'embauche des bénévoles, elle a effectué un travail de préparation extrêmement minutieux et ciblé sur les réels  besoins tant en ressources humaines qu'en logistique nécessaire à l'exercice des activités des bénévole, et a défini des procédures de management et de communication afin de créer des équipes soudées.

Des bénévoles d'un type particulier ?
Pour le savoir, Caroline a bâti un questionnaire facultatif joint au formulaire d'inscription, dans lequel figuraient un certain nombre de questions importantes pour connaître qui étaient ces bénévoles. Son analyse porte sur 104 fiches renseignées. Quelques entretiens ont pu compléter ce travail.

Les questions auxquelles elle souhaitait répondre concernaient les caractéristiques de ces bénévoles, leur motivation, différente ou non d'un engagement bénévole traditionnel pour une cause...en un mot : "quelles étaient les spécificités d'un engagement bénévole sur une manifestation de quartier"

Elle a donc dû effectuer une étude comparée entre les donnée recueillies par elle et les données sur les profils types des études réalisées par des chercheurs, notamment l'étude d'Edith Archambault "le travail bénévole en France et en Europe" in La Revue Française des Afffaires Sociales (n° 4, 2002) ou l'étude plus récente de Denis Bernardeau-Moreau et Mathieu Hely "La sphère de l'engagement associatif :un monde de plus en plus sélectif" in La Vie des Idées (octobre 2007)

- Elle observe donc la typologie des bénévoles ponctuels de la "Goutte d' Or en fête" pour constater que,:
  • les bénévoles sont majoritairement des femmes
  • plutôt jeunes
  • habitant majoritairement le quartier
Il s'agit donc d'un bénévolat très localisé, concerné par la vie du quartier et le lien social qu'il développe, et non pas motivé avant tout par une cause à défendre.

- Concernant l'investissement pendant la fête, elle note un côté "rituel", au sens d'"un acte qu'on accomplirait tous les ans à la même époque", une majorité de bénévoles (76%) ayant été présents au moins une fois au cours des années précédentes.
Elle note aussi que les jeunes, nombreux à être bénévoles, sont ceux qui s'investissent le moins en terme de temps passé.

- En ce qui concerne l'engagement au sein du quartier, Caroline qualifie le bénévolat de la fête de la Goutte d'Or de "ponctuel", voire d'"éphémère". Toutefois, plus d'un tiers des bénévoles sont déjà engagés dans des associations de quartier tout au long de l'année, la participation à la fête constituant donc une suite logique de leur engagement. Plus on est âgé, plus la probabilité est grande d'être engagé dans une association de quartier
Par ailleurs, plus d'un tiers des bénévoles sont des usagers des associations du quartier, notamment chez la grande majorité des jeunes bénévoles. Plus on est jeune, plus il y a de probabilité d'être bénéficiaire d'une association.

- En ce qui concerne la situation professionnelle et/ou le niveau de diplôme, la plupart des bénévoles ont un emploi ou sont lycéens ou étudiants. Quant aux diplômes, la moitié est peu ou pas diplômée. en grande majorité parmi les bénévoles qui ne sont pas engagés à l'année dans une association. Ceci s'explique par le fait que les bénévoles de la fête ont très souvent en même temps les bénéficiaires des associations de quartier, donc peu diplômés.


...différents du "bénévole-type ?
Oui sous certains aspects , tout du moins pour les bénévoles qui ne sont pas engagés dans une association tout au long de l'année :
  • Les bénévoles de la fête sont plus jeunes et moins diplômés et le plus souvent des femmes
  • Les bénévoles en recherche d'emploi ou au foyer sont rares et demeurent plutôt éloignés des sphères associatives
  • Les bénévoles ne s'investissent pas dans et pour une association, mais dans et pour leur quartier
.....et alors, peut-on parler de bénévolat pour ceux qui s'investissent uniquement pendant la fête ? ceux qui ne sont présents qu'un jour ou deux ? Les avis sont partagés. Certaines définitions exigent un engagement sur une certaine durée et suivant une certaine intensité. Certaines autres, retenues dans les études sur le bénévolat sont parfois plus larges en retenant comme bénévole la personne qui a donné un simple "coup de main" au cours de l'année....(NDLR : souci de vouloir "gonfler" le nombre de bénévoles ?...ce qui serait une explication aux chiffres très disparates que l'on présente concernant le bénévolat..)

Caroline pousse l'analyse de ces bénévoles jusqu'à établir une typologie originale : les bénévoles impliqués (déjà investis dans des associations de quartier), les bénévoles "public des associations" (bénéficiaires) qui changent ainsi leur statut de manière valorisante, les bénévoles "ami de...enfant de..." pas forcément du quartier, les bénévoles recrutés dans la rue par les acteurs associatifs, les enfants du quartier spontanément demandeurs, les bénévoles "ancien habitant du quartier", les acteurs associatifs bénévoles (animations diverses au nom de leur association), les bénévoles "stagiaires" d'une association, les bénévoles "salariés du quartier" qui se sont investis en dehors de leurs heures de travail, et enfin les bénévoles "électrons libres" recrutés via certains sites, des étudiants étrangers...

La majorité des bénévoles est issu de près ou de loin, d'un réseau associatif, et le problème demeure, celui de la participation et de l'implication renforcées des habitants du quartier, essentielles au renforcement du lien social indispensable et historiquement présent. La solution réside avant tout en une mobilisation au sein même de la rue (stands d'information en amont, rencontres...), ce qui nécessite un grand investissement en termes de moyens humains

En terme de motivation, on retrouve quasiment exclusivement l'une des motivations de l'action bénévole en général : convivialité, rencontrer des gens....et pourquoi pas, comme  le précisent deux jeunes filles : "cette expérience, on pourra la mettre sur notre CV, c'est une manière de montrer qu'on est motivé, dynamique"

Enfin, après avoir mis en évidence une division du travail basée sur la complémentarité des compétences, la question est posée de savoir s'il existe une différence de statut au sein du groupe de bénévoles en fonction des tâches effectuées (très marquée notamment dans les associations sportives, selon que les tâches sont ou non visibles et valorisées) Et on s'aperçoit à ce propos que pour certains, les organisateurs ne sont pas perçus comme des bénévoles !! une sorte de "statut hybride de "bénévole organisateur" entre celui d'acteur associatif salarié et celui de bénévole "classique" et qui serait par essence un bénévole ponctuel concernant la Fête de la goutte d'Or". Mais la question est vite balayée par la réalité du déroulement de la fête, aucune différence de statut n'apparaît, chacun travaillant ensemble à la réussite d'un projet commun, que l'on soit dirigeant ou exécutant.

En conclusion, que retenir ?
Il s'agit de bénévoles au profil assez différent des bénévoles "types" : plus jeunes, moins diplômés, des femmes plus nombreuses qui s'investissent avant tout dans et pour leur quartier, et non pas dans et pour une association ou pour défendre une cause
Toutefois, les bénévoles déjà engagés dans une association tout au long de l'année présentent es caractéristiques assez semblables aux bénévoles "types"

Enfin, si l'un des objectifs est d'associer au maximum les habitants du quartier (ou tout groupe humain ciblé), la recherche de bénévoles parmi eux nécessite des moyens importants en temps et en ressources humaines, de même qu'en imagination et créativité !

Si la lecture de ce mémoire vous intéresse (il est très bien écrit !), vous le trouverez sur le lien suivant :
http://gouttedor-et-vous.org/Etre-benevole-durant-une-fete-de
 
 



En attendant, je ne peux que vous conseiller d'aller faire un tour à "La Goutte d'Or en Fête" dont l'édition 2014 promet d'être particulièrement animée et "tropicale" en raison de son thème "BRASIL" - actualité oblige !

Et tout le programme sur :

http://www.gouttedorenfete.org/