Quatre scénarios
sont dessinés dans ce rapport, soit autant de futurs possibles pour les interventions
humanitaires au plan international.
Le premier scénario,
qualifié de "porte étroite",
se caractérise par une montée des nationalismes qui confronte les ONGI à une
politisation des crises, en particulier celles qui surviennent dans des Etats
fragiles. Désireux de montrer à leurs populations et à la communauté mondiale qu'ils
sont capables de gérer seuls des situations d'urgence, les gouvernements locaux
délèguent de plus en plus les interventions humanitaires à leurs forces armées,
ou bien à des associations nationales, locales ou confessionnelles qu'ils
coordonnent. Résultat : les contrôles et les limitations de l'action des ONGI
augmentent et leur prédominance se réduit, car elles entrent en concurrence
avec les autres et principaux fournisseurs d'aide.
Dans le scénario dit du
"débordement", les
acteurs humanitaires font face à une escalade spectaculaire des besoins du fait
des crises écosystémiques qui s'intensifient sous l'effet du changement
climatique et de la croissance démographique. Les Etats économiquement faibles
s'avèrent incapables d'affronter ces défis, ce qui entraîne une augmentation
significative des migrations. Mais les ONGI ont de plus en plus de mal à
accéder aux communautés vulnérables, parce que l'espace humanitaire est soumis par
les autorités nationales à des restrictions importantes, et que les donateurs
institutionnels donnent plus aux ONG locales et/ou confessionnelles, voire aux intervenants
militaires.
Le troisième avenir
envisagé est marqué par une série de crises locales prolongées et une
augmentation considérable des migrations involontaires. Dans ce scénario du
"A chacun son domaine",
de nouveaux réseaux d'intervenants (entreprises, fondations, mégalopoles,
mouvements de citoyens) s'articulent autour de causes importantes comme la
santé, l'eau, l'énergie ou la mobilité humaine. En raison des motivations
variées de ces acteurs (par exemple pénétrer de nouveaux marchés ou accroître
leur influence), certaines crises humanitaires peuvent être négligées, ce qui
laisse présager un modèle d'assistance humanitaire à deux vitesses : des zones
ou des situations économiquement, politiquement ou stratégiquement
intéressantes, bénéficient de l'aide des nouveaux acteurs, alors que d'autres
sont ignorées. Dans ces dernières, les ONGI traditionnelles et les ONG locales
et confessionnelles restent prédominantes. Cependant, à mesure que le
financement de l'action humanitaire se fragmente, la concurrence augmente
considérablement, ce qui diminue les fonds disponibles pour les crises
oubliées.
"(R)évolutions"
est l'intitulé du dernier scénario esquissé. D'ici à 2030, les crises
localisées demeurent des zones où se concentrent des besoins humanitaires, mais
de nouveaux domaines critiques émergent à plus grande échelle, dus à
l'intensification des crises écosystémiques. Comme dans le scénario précédent,
les intervenants humanitaires informels, guidés par des intérêts personnels,
prennent de l'importance. Mais, en incluant de nombreux acteurs locaux clés
dans les zones touchées, leurs réponses sont plus stratégiques et plus durables.
Pour les ONGI, le scénario "(R)évolutions" offre une opportunité de
développer leur influence et leur expertise, estiment les rapporteurs. N'étant plus
qu'un intervenant parmi beaucoup d'autres, les ONGI qui saisiront l'occasion de
jouer un rôle moteur dans les changements, en renforçant les compétences des
autres acteurs, comme les acteurs du secteur privé, les acteurs militaires et
les ONG locales, demeureront un élément essentiel de l'ensemble du secteur
humanitaire traditionnel comme informel.
Inutile de dire qu'il existe encore bien des incertitudes
sur la façon dont l'environnement, les crises et les besoins humanitaires
évolueront, concluent les auteurs. Mais une chose leur semble sûre : les intervenants
traditionnels du secteur devront effectuer des transformations significatives
dans leurs pratiques et mentalités pour ne pas être mis sur la touche. Il
s'agit "d'explorer de nouvelles
manières de travailler ensemble (y compris avec des acteurs qui ont été tenus à
distance jusqu'à présent comme le secteur privé et les acteurs militaires)"
et apprendre à agir préventivement pour améliorer, à long terme, la situation
des communautés en difficulté.
Caroline Helfter