Famines, sécheresse, épidémies, tremblements de terre, ... : les populations confrontées à des crises humanitaires décident chaque jour de la meilleure utilisation possible de leurs capacités et des ressources dont elles disposent pour répondre à leurs besoins. Pourtant, quand des organisations non gouvernementales (ONG) interviennent pour les soutenir, les intéressées se voient mises à l'écart des choix relatifs aux projets destinés à les aider. "Les canaux de décision sont manipulés par des experts qui pensent savoir ce qu'il faut faire pour les personnes concernées", faisait observer Michel Maietta, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), lors d'un débat organisé le 13 décembre à Paris par son institution. Le vent serait-il en train de tourner ? En tout état de cause, nombre d'ONG s'affirment désireuses de rompre avec le paternalisme. Leur ambition est que les bénéficiaires de leurs interventions en soient véritablement partie prenante et non plus simples récipiendaires. Mais cette intention peine à se concrétiser.
Des universitaires et des acteurs associatifs réunis au sein du réseau IARAN (Inter-Agency Regional Analysts Network) ont identifié plusieurs obstacles au changement des mentalités et des pratiques (1).L'un des points de blocage tient à la structuration même du système humanitaire avec son fonctionnement hiérarchique et bureaucratique. Financements et pouvoir de décision sont aux mains d’un petit nombre d’acteurs du monde occidental – « hommes blancs du Nord occidento-centré », comme les qualifie Michel Maietta.
Autre raison de l’inertie des organismes d’aide : leur aversion au risque. Au cours des 20 dernières années, l’action humanitaire est devenue plus dangereuse et de nombreux intervenants ont été victimes d’attaques ciblées. Il faut aussi se prémunir des risques de non-conformité des opérations menées. Les ONG doivent s’assurer de la viabilité financière des projets et de leur respect des législations, en particulier celles qui ont trait à la lutte contre le terrorisme et la corruption. Tout cela conduit les tenants de l’aide à exercer un contrôle sur leurs partenaires et informations, au détriment d’une co-construction des programmes avec les acteurs locaux. Peut-être les humanitaires ne sont-ils pas non plus prêts à remettre en cause leur position de « sauveurs », qui va de pair avec une dévalorisation des connaissances et de l’expérience des personnes aidées. Sans compter que dans les situations d’urgence, ils n’ont pas forcément « le temps du faire du participatif » alors que leurs bailleurs de fonds attendent des résultats, ajoute Michel Maietta. Pour le réseau IARAN, la question à se poser serait pourtant : « pourquoi un acteur international, souvent éloigné du problème et ne comprenant pas bien son contexte, prendrait-il de meilleures décisions qu’un acteur local ? »
Caroline Helfter