L’idée d’associer l’engagement envers une juste
cause à l’épanouissement individuel et la santé est une idée assez récente qui
s’inscrit bien dans l’air du temps mais qui est aussi prise très au sérieux par
la science, si l’on en croit l’important développement d’un champ scientifique
qui étudie, depuis une trentaine d’années, les corrélations entre attitudes et
engagements altruistes, bien-être, santé et longévité et parmi lesquelles
s’inscrivent les études sur les effets bénéfiques du bénévolat. "Faites-vous du
bien à vous même en faisant du bien aux autres",semblerait dire ce nouveau
domaine d’investigation scientifique. Un phénomène que l’on peut considérer
comme particulièrement intéressant, si l’on veut bien considérer que les
justifications en faveur de l’engagement relevaient auparavant plutôt
d’affirmations normatives telles que le primat du collectif sur l’individu, le
devoir moral et un certain esprit de sacrifice au nom de « l’intérêt supérieur
» de la cause défendue. Ce nouveau champ d’intérêt de la science pourrait bien
constituer une argumentation en faveur du bénévolat assez novatrice finalement
? Quel est ce champ scientifique et que disent ces études ?
Le contexte dans lequel
se sont développées ces études
Pour le comprendre, il convient de préciser
rapidement qu’elles s’inscrivent dans le cadre d’importants changements de
paradigmes qui se sont produits récemment dans différentes disciplines
scientifiques telles que l’éthologie, les neurosciences, et, dans les sciences
sociales, la psychologie et même certains courants de l’économie ! Alors que
ces disciplines avaient jusqu’ici mis en avant des valeurs individualistes, de
compétition et de croyance en la sélection naturelle comme moteur unique de
l’évolution, la révolution dans ces sciences a consisté à tourner le regard
vers l’importance de la coopération, des comportements pro-sociaux, de
l’empathie, des attitudes altruistes et de montrer leurs effets bénéfiques au
niveau de l’individu, de la collectivité et de l’évolution de l’espèce. Et
ceci, sans même compter la nécessité absolue de nouvelles attitudes sur le
devenir de la Terre ! Ainsi, la théorie de l’évolution a montré comment la
coopération au sein des espèces est beaucoup plus efficace que la lutte, si
l’on en croit des auteurs comme Joan Roughgarden et Thierry Hoquet, auteurs du
« gêne généreux : pour un darwinisme coopératif » ; la psychologie a montré,
depuis les années 2000, l’importance de l’empathie et des attitudes prosociales
pour la croissance personnelle de l’individu et même la « science économique »
commence à relativiser l’idée que l’enrichissement matériel serait la seule
source de bonheur, à travers des études empiriques qui ont montré qu’au-delà
d’un certain niveau, l’accroissement du revenu n’est plus source de bien-être
et que ce sont les liens sociaux qui apportent le plus.
Ce que disent les
études et enquêtes sur les effets personnels du bénévolat pour la personne qui aide
La « psychologie positive », branche de la
psychologie expérimentale s’est particulièrement intéressée aux effets du
bénévolat en termes de bien-être, d’épanouissement personnel, et de santé mentale
et même physique. Dans son ouvrage, « la psychologie positive », Rébecca
Shankland, l’une des pionnières de la discipline présente un certain nombre
d’enquêtes sur le sujet. Ainsi, des chercheurs en psychologie sociale ont
montré que l’implication associative contribuait à « réduire la souffrance
psychique et les effets négatifs des situations stressantes » et « augmentait
le bien-être physique et psychique ». Certains parlent même de « shoot de
l’aidant » pour désigner cette augmentation des affects positifs et de la
satisfaction par rapport à la vie qu’apporte l’engagement envers autrui. Cela
concerne d’ailleurs toutes les tranches d’âge car des recherches expérimentales
ont montré que les adolescents altruistes présentaient moins de risques de dépression
et de suicide que les autres et l’altruisme répété aurait, selon d’autre
chercheurs cités par Shankland, un impact positif sur la santé physique et
mentale visible encore 50 ans plus tard ! Tandis que chez la personne âgée,
d’autres chercheurs ont montré que l’implication bénévole leur apportait une
satisfaction par rapport à leur vie actuelle et un désir de vivre plus élevés
que les individus de groupes témoins. Avec de surcroît une longévité plus
importante.
Et les bénéfices concernent aussi la santé physique
stricto sensu. Ainsi, une étude canadienne montre que faire du bénévolat réduit
aussi les risques de maladies cardiovasculaires. La générosité ne réchauffe pas
seulement le coeur, elle le protège aussi !, selon des chercheurs de
l’Université de ColombieBritannique à Vancouver, dans une étude parue dans le Journal of the American Médical Association.
Cette étude, faite sur des lycéens, a montré que les jeunes « plus généreux
» présentaient un niveau de cholestérol plus bas, moins de graisse en plus des
bienfaits purement psychiques.
Comment expliquer ces impacts du bénévolat sur la
santé, qu’elle soit mentale ou physique ?
Concernant les maladies physiques telles que la
tension artérielle le lien est indirect. Ainsi, selon Rodlescia Sheed, professeur
de psychologie à l’Université Carnegie Mellon, « le fait d’avoir des relations
sociales réduit le stress et augmente l’estime de soi. Deux facteurs
déterminants pour lutter contre certaines pathologies ». « Le bénévolat
pourrait être un moyen efficace de réduire la tension artérielle tout en
évitant de passer par les médicaments » déclarent certains chercheurs.
Bien sûr, les effets paraissent plus faciles à
expliquer sur le bien-être et la santé mentale. Les comportements pro sociaux
en général sont souvent synonymes de réduction des conduites à risques, de
construction de liens plus solides entre les individus, d’amélioration de
l’estime de soi, de sentiment d’utilité ou de meilleur sens donné à sa vie.
Un certain nombre d’auteurs ont tenté de fournir des explications théoriques à ce lien bonheur/engagement. Ainsi
Jacques Lecomte, psychologue, auteur de « Donner un sens à sa vie », considère
que si une part du bonheur relève de l’hédonisme, la quête de plaisir, une
autre part, celle liée à l’engagement, relève de « l’eudemonia », terme qu’il
emprunte à Aristote qui entendait par là une « vie réussie » et axée sur la
vertu.
Selon Lecomte, le bonheur lié à ce type d’action (l’engagement)
relève de « l’eudémonisme », qu’il oppose au bonheur hédoniste, selon lui plus
fragile car trop dépendant des conditions extérieures. Dans le même esprit, une
étude menée notamment par le moine bouddhiste Matthieu Ricard parue dans la Review of general psychology en 2011,
oppose un modèle de bonheur durable qui serait basé sur le fonctionnement d’un
« soi-décentré » donnant une place importante à autrui, à un bonheur «
soi-centré » correspondant à la maximisation du plaisir et qui serait beaucoup
plus instable car trop dépendant du contexte et des aléas de la vie.
Enfin, la meilleure qualité des relations sociales,
l’impression de mieux contrôler sa vie et l’amélioration de l’estime de soi
sont aussi des sources de réduction du stress, de l’anxiété et de la dépression
engrangées par le fait d’apporter de l’aide aux autres. Ainsi que, élément
particulièrement important, la motivation intrinsèque pour l’action !
Mais
est-ce à dire que l’altruisme et l’engagement se réduisent à une question de
bien-être ?
CC Cela reviendrait à dire qu’in fine, ils ne feraient qu'
obéir à des motivations très égocentriques ! Il n’en est rien pour Matthieu
Ricard car selon lui, ce type d’effets décrits ne sont que des sous-produits
secondaires de l’engagement altruiste et n’excluent nullement la part
importante de désintérêt et de motivation pour le bien des personnes que l’on
aide. Au reste, les études semblent montrer que ces bienfaits apparaissent
surtout si l’on a une motivation intrinsèque pour l’action et un réel
souci altruiste pour la personne que
l’on aide indépendamment de notre bien propre.
Ainsi, si on veut engranger des bienfaits
personnels à l’engagement bénévole, mieux vaut être sincère dans sa démarche.
On peut imaginer qu’un égoïste qui déciderait de s’engager car il aurait
entendu parler de ces bénéfices ne verrait rien se produire chez lui d'où
l'intérêt d'être authentiquement altruiste !
Bernard Grozelier