Les abus d'un certain type de tourisme
Il y a deux ans, nous avions tiré la sonnette d'alarme sur le "business" et les dérives que constituent certaines offres sans scrupules de tourisme humanitaire, le "volontourisme" comme disent les anglo-saxons.
Il s'agit là d'un phénomène de mode, environ 1,5 millions de volontouristes ayant été répertoriés dans le monde en 2015
Il y a quelques semaines, le sujet est réapparu dans l'émission "Envoyé spécial" qui a rediffusé un reportage édifiant sur "le business de la charité": des touristes qui partent au bout du monde, en Inde, au Cambodge, au Népal, clients de tour-opérateurs qui proposent des "circuits humanitaires" clés en main.
Au Cambodge, un tour opérateur, outre un voyage touristique dans le pays, inclut dans son "forfait", le financement, dans un village, de pompes à eau par les touristes dont les noms figurent sur les installations et qui reviennent dans leur pays, photos à l'appui, avec le sentiment d'avoir œuvré pour améliorer le sort des populations cambodgiennes. Mais quelques temps plus tard, un retour des journalistes sur les lieux montre des pompes à eau inutilisables, cassées, non réparées, sous le regard fataliste et désabusé des habitants...
Une autre agence installée à Angkor, fait venir des volontaires pour donner des cours d'anglais à des enfants (sans vérifier le profil ou les compétences des volontaires). Les volontaires changent tous les quatre jours !! 600 agences de volontourisme sont ainsi dénombrées dans la région de Siem Reap (Angkor)
A Kathmandou, (on apprend que le nombre d'orphelinats dépasse le nombre d'orphelinats sur le continent européen), de nombreuses ONG se sont installées depuis le tremblement de terre...des aubaines pour des agences de tourisme et des associations peu scrupuleuses, notamment l'une d'entre elles qui recueille des orphelins afin d'attirer la compassion de voyageurs/donateurs...qui ignorent qu'il s'agit souvent de faux orphelins arrachés à leur famille avec la complicité des autorités corrompues qui modifient les états civils ("blanchiment d'enfants", "orphelins de papier" estimés à 85% des enfants recueillis).
Les voyageurs, malheureusement, ne se posent pas la question de l'utilisation de l'argent qu'ils ont versé - généralement autour de 2000 euros pour deux semaines, hors coût de l'avion et du visa - le reportage montrant que les marges bénéficiaires de ces tours opérateurs peu scrupuleux sont dix fois plus élevées que dans le tourisme ordinaire.
Ce qui intéresse les voyageurs, c'est de savoir ce qu'ils ont fait, sans s'occuper de la suite, de l'utilité, du suivi, de savoir si ça marche (pour les pompes à eau..)
Il s'agit de solutions à court terme, sans apport véritable pour le développement. Le volontariat est devenu un objet de consommation comme un autre.
(voir l'article cité plus haut).
Isabelle, une volontouriste heureuse....
Ne voulant pas rester sur l'impression et le jugement induits par les reportages qui ont tendance à fustiger ce type de tourisme, j'ai voulu entendre le récit d'une jeune "volontouriste" rentrée récemment du Bénin. Son approche et ses motivations n'ont pas la prétention de sauver le monde ou d'aider au développement d'un pays africain. Elle parle tout simplement de solidarité et d'entr'aide.
Isabelle a 30 ans, elle travaille dans une agence de voyages en ligne qui propose des voyages à la carte. Elle connaît donc parfaitement le secteur du tourisme et le monde des agences de voyages.
A la fin de ses études d'infirmière, elle a décidé d'opérer une reconversion et se diriger vers un secteur qui l'avait toujours attirée et correspondait davantage à ses aspirations, celui du tourisme. Avant d'entamer cette nouvelle tranche de vie, et pour "faire un break", elle a souhaité partir en mission humanitaire, son autre domaine de prédilection. Mais les ONG contactées ne proposant que des missions de six mois au minimum, elle a dû renoncer à ce projet et a donc entamé son nouveau cursus universitaire à l'issue duquel elle a débuté sa carrière professionnelle.
Mais elle n'a pas pour autant mis de côté l'empathie qu'elle ressent et l'intérêt qu'elle porte aux enfants démunis des pays du sud.
C'est ainsi qu'elle a décidé de faire l'expérience de "voyager autrement", et expérimenter le "tourisme solidaire et équitable", leit motiv de l'association Double Sens à laquelle elle s'est adressée en toute confiance. Cette agence, créée il y a quelques années par deux amis, se revendique comme une entreprise de l'économie sociale et solidaire et propose un tourisme en Afrique, Asie, Amérique du Sud.
Elle rentre d'un séjour d'un mois au Bénin où elle a effectué une mission de trois semaines à plein temps dans une pouponnière d'Abomey (une ville de 80.000 habitants au centre du Bénin), suivie d'une semaine de découverte du pays. Il s'agit d'une pouponnière gérée et financée en grande partie par une association italienne et qui fonctionne avec des religieuses béninoises . Elle recueille des petits enfants jusqu'à quatre ans, orphelins de mère et ne pouvant pas (temporairement) être pris en charge par leur famille.
La mission d'Isabelle (et de trois autres voyageuses) consistait à "faire des
câlins", jouer, éveiller, dessiner, lire des histoires, promener les enfants., leur parler...tout ce qui est essentiel aux jeunes enfants privés de lien maternel et nécessaire à leur développement psycho-moteur et affectif, en dehors des soins proprement dits (change, nourriture..).
La pérennité de la mission est assurée par le relais des voyageurs qui se succèdent, à laquelle veille un coordonnateur local rémunéré par l'Agence. C'est ce coordonnateur qui assure le suivi et l'organisation des missions sur place, dont, en dehors de la pouponnière, alphabétisation (après vérification des compétences des voyageurs et avec encadrement) et initiation à l'informatique auprès de jeunes en attente de prothèses dans un centre de rééducation, participation aux récoltes locales....autant d'activités qui relèvent de l'entr'aide et de la solidarité, sans connotation d'assistanat ou de "néo-colonialisme", ce qu'elle n'a pas du tout ressenti dans ses relations avec les nombreuses personnes rencontrées et avec lesquelles elle a partagé le quotidien.
A propos de cette mission, Isabelle parle de solidarité et non d'humanitaire (ce qui est d'ailleurs précisé sur le site de Double Sens) et elle m'a convaincue. Ne pouvant, comme beaucoup, arrêter son travail et partir plusieurs mois en mission humanitaire, elle estime que le concept de "volontourisme" peut être un bon compromis.
Elle a vu son voyage comme une occasion de découvrir l'Afrique, s'ouvrir l'esprit, partager la vie locale, échanger, rencontrer pour dialoguer. Intervenir dans une pouponnière a été l'occasion de "donner un coup de main", aider, sans pour autant avoir l'impression d'apporter, de transplanter un savoir faire venu de l'occident ou de participer au développement d'un pays.
Jamais elle n'aurait eu l'idée de partir installer des pompes à eau.....
"J'étais là avant tout comme une voyageuse, l'aspect humanitaire n'était pas primordial", dit-elle..."c'est une expérience, pas un but en soi". .... et l'objectif du voyage "est largement récompensé et comblé par le sourire des enfants"
Elle ne sait pas si elle renouvellera cette expérience, mais elle perpétue quelque peu l'action menée sur le terrain, dans la mesure où elle a décidé de "lever des fonds" pour approvisionner la pouponnière en couches....sans ce voyage, l'idée ne lui serait pas venue !
Elle souligne aussi que, comme tout voyage touristique, les "retombées" pour le commerce local sont loin d'être négligeables.
J'ajouterai une remarque personnelle : n'est ce pas, finalement, également, un moyen de faire savoir, témoigner, tenter de faire comprendre pourquoi, en voyant des populations démunies, des êtres humains sont poussés à chercher ailleurs une vie meilleure ?
Quant à la qualité de l'agence, Isabelle, qui connaît bien le secteur touristique et les abus dans ce domaine, confirme qu'il s'agit d'une agence de voyages comme une autre, bien organisée, très contrôlée sur place.
Nous n'avons pas beaucoup abordé la question du prix (2500 euros pour un mois) qu'elle considère non exhorbitant, compte tenu de la durée du voyage et de la qualité des prestations (logement, repas, visites du pays, différents salaires payés sur place....)
Nous ne ferons pas de commentaire sur ce point, nous voulions simplement recueillir le témoignage d'un(e) "volontouriste".
Un conseil pour terminer : se méfier, prendre toutes précautions avant de choisir une agence, ne pas avoir la prétention de participer au développement (les ONG sont là, c'est leur métier),.....et laisser de côté ses préjugés, ne pas partir avec une "casquette" d'occidental(e)
Louise Forestier