Si l’on examine quelques éléments de littérature
comparative sur la question, deux courants de pensée semblent se dégager.
D’un autre côté, certains pensent au contraire que cette différence est toute relative et que l’évolution contemporaine (crise économique et financière) rapproche de toute manière le tiers-secteur français du modèle américain.
L’idée qu’il existe deux modèles américains et français bien différents se cristallise autour de la référence à Alexis de Tocqueville qui a étudié la démocratie américaine ainsi que les institutions nées de la Révolution française, mais emprunte aussi à nos histoires respectives.
S’agit-il d’une
tentative de « remise au travail des citoyens » via le volontariat et le
bénévolat comme le pense Simonet qui considère qu’en France comme en Amérique,
l’Etat utilise l’engagement associatif pour servir ses objectifs en matière de
politique d’emploi sous couvert d’appel à la citoyenneté ? En Amérique,
l’encouragement du bénévolat et du volontariat pour lutter contre le chômage ou
d’autres problèmes sociaux est plus courant et se matérialise au travers de
programmes tout à fait publics comme celui de la Corporation for National
Service, l’AmeriCorps ou le Citizen Corps
qu’avait créé le président Georges W. Bush pour aider à réformer le système
éducatif. En France, la promotion, par l’Etat, du volontariat des jeunes au
travers de contrats faiblement rémunérés (Service
civique ou autres….) fait poser à certains la question de savoir
s’il ne s’agit pas là d’introduire des formes de travail sous-payées ou
gratuites pour atténuer le coût financier de l’Etat providence ou masquer son
échec en matière de lutte contre le chômage des jeunes
Un autre point à signaler est celui du caractère largement communautaire du bénévolat américain coexistant pleinement avec les formes d’engagement s’adressant à la société dans son ensemble sans que cela ne pose de graves problèmes de principes à la représentation que l’Amérique se fait d’elle-même en terme de citoyenneté. De fait, des communautés se construisent facilement aux Etats-Unis souvent sur une base religieuse ou ethnique, qui vise le développement social, politique, culturel et économique du groupe en question, en insistant sur la responsabilité des membres.
La culture française, en
revanche, est très suspicieuse envers le « communautarisme » considéré par
certains comme une restriction de la citoyenneté ou tout du moins un frein.
Question particulièrement sensible aujourd’hui dans l’hexagone face aux
problèmes d’intégration , entraînant la peur d’une segmentation de « l’unité
nationale » dans des communautés particulières se réclamant de valeurs
spécifiques.
Mais selon certains
cette différence entre deux modèles est toute relative et la question se pose
aussi de savoir si la norme française d’associations ne se rapprocherait pas de
la norme américaine particulièrement du fait de la crise de l’Etat providence
Selon Maud Simonet toujours, cette opposition entre la France et les Etats-Unis suivant une lecture tocquevillienne qui ferait du bénévolat américain une émanation purement « spontanée » de la société civile est tout à fait critiquable et illusoire dans la mesure où il serait, aussi bien en Amérique qu’en France, fortement encouragé par l’État. Et il est vrai que de Herbert Hoover, dans les années 1920 à Bill Clinton, nombreux sont les présidents américains et d’autres responsables politiques qui ont publiquement appelé à l’engagement bénévole au nom d’une norme morale communautaire et citoyenne. En France, c’est sur le devoir d’utilité sociale que les pouvoirs publics interpellent les citoyens et cela explique, selon Simonet, 25 ans de rapports entre les pouvoirs publics et les associations pour la tentative d’élaboration d’une reconnaissance d’utilité sociale pour ces dernières. Reconnaissance attribuée par l’État.
Mais au-delà des oppositions théoriques, ne serait-ce pas à un rapprochement des normes françaises de gestion associative et bénévole sur les normes américaines auquel on assisterait ? En effet comme le souligne le Rapport de l’OCDE de 2003 « Le secteur à but non lucratif dans une économie en mutation », la crise des systèmes européens de protection sociale a entraîné depuis les années 1970 un regain d’intérêt envers les organismes du tiers-secteur et une mutation de leur gestion. Et cette mutation ressemble bien à un changement des modes d’organisations traditionnels des associations vers un fonctionnement plus « américain » si l’on veut bien considérer que le bénévolat se professionnalise, que les associations adoptent des modes de gestions inspirés en partie de l’entreprise privée avec un souci d’efficacité, d’innovation et que la baisse des financements publics les incitent à adopter une certaine démarche marketing dans leur collecte de dons privés.
Au reste, si l’on en croit Olivier Zunz, américaniste et auteur de « la philanthropie en Amérique », c’est depuis le XIXème siècle, sous l’impulsion de philanthropes fortunés que les organisations sans but lucratif se sont inspirées de mode de gestion conforme à ceux de l’entreprise privée capitaliste classique avec un souci d’efficacité autant qu’un souci caritatif. En France, ce rapprochement des modes de management est beaucoup plus récent, et, de ce point de vue, on peut parler d’une convergence des modes de gestion des associations françaises et américaines.
Mais si les modes de gestion se rejoignent, cela ne signifie pas, actuellement, un rapprochement idéologique. L’Etat-Providence est encore largement invoqué en France à l’occasion des grands débats, lorsqu’il est question de « privatiser » certains secteurs au sein des institutions d’enseignement, de santé, etc…
Un mot, enfin, sur
le regard porté par les sociétés américaine et française, sur le bénévolat et
le volontariat
Alors qu’il est impensable pour un jeune américain de présenter un CV sans mention d’une activité bénévole, les recruteurs français ont été pendant longtemps réticents, et le sont encore pour une large part, estimant que le candidat pourrait avoir d’autres intérêts que l’objectif de l’entreprise et risquerait d’être moins disponible. Là aussi, les choses évoluent, certaines grandes écoles valorisent le bénévolat dans le dossier d’admission et les entreprises commencent à admettre et reconnaître l’enrichissement en compétences que peut représenter une activité bénévole.
D’un côté ceux qui
considèrent que le bénévolat et l’engagement associatif s’opposent au modèle américain
basé sur la prédominance du tiers-secteur (associations….) et de la
société civile sur l’Etat, avec une référence centrale au philosophe politique
français Alexis de Tocqueville qui a décrit et analysé le fonctionnement de la
démocratie américaine qui laisse une grande place à l’initiative privée, le modèle
français se référant au contraire à la conception d’un « Etat
providence » prenant en charge les besoins des citoyens.
D’un autre côté, certains pensent au contraire que cette différence est toute relative et que l’évolution contemporaine (crise économique et financière) rapproche de toute manière le tiers-secteur français du modèle américain.
Ce débat n’est pas seulement d’ordre académique car en France la crise induit chez certains la
crainte que le recours au bénévolat ne soit une
manière non avouée de substituer les associations à l’Etat Providence dans
certaines de ses prérogatives. Le rejet du « communautarisme » prédispose à une
méfiance envers le modèle d’engagement américain faisant une large place aux
communautés.
L’idée qu’il existe deux modèles américains et français bien différents se cristallise autour de la référence à Alexis de Tocqueville qui a étudié la démocratie américaine ainsi que les institutions nées de la Révolution française, mais emprunte aussi à nos histoires respectives.
Ainsi, selon Maud Simonet, auteure de « Le travail bénévole, engagement citoyen
ou travail gratuit ? » qui fait à cette occasion
une étude comparative sur le bénévolat en France et aux Etats-Unis, Tocqueville est constamment invoqué par les
chercheurs, mais aussi les responsables associatifs et les politiques
américains. Cette référence est, selon elle, à l’origine de la description de
l’Amérique comme une « nation d’associés » où le bénévolat se développerait de
façon « spontanée » dans l’espace laissé libre par l’État, dans un rapport de
substitution avec lui dans la mesure où la pratique bénévole serait
indépendante, d’origine privée et a-étatique. Les groupes bénévoles «
surgiraient spontanément », afin de prendre
en charge un problème en dehors des politiques.
Cette référence à Tocqueville est reprise aussi par des américanistes, chercheurs mais
aussi politiques français pour opposer des modèles français et américains de
bénévolat. Alors qu’aux Etats-Unis la pratique bénévole serait « développée,
reconnue, valorisée » parce que partie intégrante de la tradition démocratique, elle-même liée au principe de liberté individuelle
et de méfiance à l’égard de l’Etat qui
ont sous-tendu la détermination des « pères fondateurs » pour une
société plus libre, la France serait un contre-modèle avec une pratique
bénévole peu reconnue, peu encouragée et ne s’intégrant pas véritablement dans
une culture politique faite de fort recours à l’État. Mais il est vrai que la
Révolution française et l’apparition de l’État Providence de type universaliste
n’ont pas forcément favorisé le secteur philanthropique. La Révolution en effet
a perçu celui-ci comme une influence extérieure qui venait s’interposer entre
l'Etat et le citoyen et s’est employée
à réduire les corps intermédiaires (corporations..)
dont il fallait se méfier par crainte d’un contre-pouvoir, ne
reconnaissant de rôle représentatif qu’à l’État. Quant à la fourniture de
services sociaux par le tiers-secteur elle était, jusqu’à une certaine période
au moins, très dépendante de l’État Providence financièrement et en matière de
tutelle.
Si l’on considère
les liens entre les pouvoirs publics et le monde associatif, de notables différences se dégagent entre les exemples
américains et français qui ne manquent pas d’interpeller la culture politique
française.
En
France, l’idée que les associations puissent suppléer l’Etat Providence face
aux limites financières qu’il rencontre, ne va pas sans provoquer des débats.
Le 5 février 2016, le Conseil départemental du Haut-Rhin approuvait« "le
principe d'instaurer un dispositif de service individuel bénévole que
pourraient effectuer les bénéficiaires
du RSA" en exigeant d’eux d’effectuer 7 heures de bénévolat par semaine. Il
s’agissait, selon son président Eric Straumann de « faire passer les allocataires du
statut d’usager à celui de bénévole actif et reconnu". Mais la ministre
des Affaires sociales, Marisol Touraine a réagi en affirmant « qu’il n’est pas
possible de conditionner le versement du RSA à l’exercice du bénévolat" et
que « les devoirs liés à l’obtention d’une allocation sont définis
nationalement ».
Un autre point à signaler est celui du caractère largement communautaire du bénévolat américain coexistant pleinement avec les formes d’engagement s’adressant à la société dans son ensemble sans que cela ne pose de graves problèmes de principes à la représentation que l’Amérique se fait d’elle-même en terme de citoyenneté. De fait, des communautés se construisent facilement aux Etats-Unis souvent sur une base religieuse ou ethnique, qui vise le développement social, politique, culturel et économique du groupe en question, en insistant sur la responsabilité des membres.
Selon Maud Simonet toujours, cette opposition entre la France et les Etats-Unis suivant une lecture tocquevillienne qui ferait du bénévolat américain une émanation purement « spontanée » de la société civile est tout à fait critiquable et illusoire dans la mesure où il serait, aussi bien en Amérique qu’en France, fortement encouragé par l’État. Et il est vrai que de Herbert Hoover, dans les années 1920 à Bill Clinton, nombreux sont les présidents américains et d’autres responsables politiques qui ont publiquement appelé à l’engagement bénévole au nom d’une norme morale communautaire et citoyenne. En France, c’est sur le devoir d’utilité sociale que les pouvoirs publics interpellent les citoyens et cela explique, selon Simonet, 25 ans de rapports entre les pouvoirs publics et les associations pour la tentative d’élaboration d’une reconnaissance d’utilité sociale pour ces dernières. Reconnaissance attribuée par l’État.
Mais au-delà des oppositions théoriques, ne serait-ce pas à un rapprochement des normes françaises de gestion associative et bénévole sur les normes américaines auquel on assisterait ? En effet comme le souligne le Rapport de l’OCDE de 2003 « Le secteur à but non lucratif dans une économie en mutation », la crise des systèmes européens de protection sociale a entraîné depuis les années 1970 un regain d’intérêt envers les organismes du tiers-secteur et une mutation de leur gestion. Et cette mutation ressemble bien à un changement des modes d’organisations traditionnels des associations vers un fonctionnement plus « américain » si l’on veut bien considérer que le bénévolat se professionnalise, que les associations adoptent des modes de gestions inspirés en partie de l’entreprise privée avec un souci d’efficacité, d’innovation et que la baisse des financements publics les incitent à adopter une certaine démarche marketing dans leur collecte de dons privés.
Au reste, si l’on en croit Olivier Zunz, américaniste et auteur de « la philanthropie en Amérique », c’est depuis le XIXème siècle, sous l’impulsion de philanthropes fortunés que les organisations sans but lucratif se sont inspirées de mode de gestion conforme à ceux de l’entreprise privée capitaliste classique avec un souci d’efficacité autant qu’un souci caritatif. En France, ce rapprochement des modes de management est beaucoup plus récent, et, de ce point de vue, on peut parler d’une convergence des modes de gestion des associations françaises et américaines.
Mais si les modes de gestion se rejoignent, cela ne signifie pas, actuellement, un rapprochement idéologique. L’Etat-Providence est encore largement invoqué en France à l’occasion des grands débats, lorsqu’il est question de « privatiser » certains secteurs au sein des institutions d’enseignement, de santé, etc…
Aux Etats-Unis, à l’inverse,
on se souvient de l’extrême difficulté à faire voter
l’ « Obamacare » pour faire adopter une prise en charge par
l’Etat d’un minimum de protection sociale pour le plus démunis.
Alors qu’il est impensable pour un jeune américain de présenter un CV sans mention d’une activité bénévole, les recruteurs français ont été pendant longtemps réticents, et le sont encore pour une large part, estimant que le candidat pourrait avoir d’autres intérêts que l’objectif de l’entreprise et risquerait d’être moins disponible. Là aussi, les choses évoluent, certaines grandes écoles valorisent le bénévolat dans le dossier d’admission et les entreprises commencent à admettre et reconnaître l’enrichissement en compétences que peut représenter une activité bénévole.
Bernard Grozelier