29 mars 2018

Aide humanitaire : s'adapter à un environnement en mutation

Conflits longs et complexes, catastrophes naturelles de plus en plus régulières, inégalités croissantes : le nombre de personnes déplacées dans le monde est plus élevé que jamais et les besoins humanitaires ne cessent d'augmenter. Quelles stratégies les organisations non gouvernementales internationales (ONGI) doivent-elles adopter pour rester efficaces dans un contexte mondial en rapide évolution ? Cette question est au cœur d'un rapport sur l'avenir de l'aide humanitaire à l'horizon 2030, rédigé par un réseau international d'experts et d'acteurs associatifs :


Quatre scénarios sont dessinés dans ce rapport, soit autant de futurs possibles pour les interventions humanitaires au plan international. 

Le premier scénario, qualifié de "porte étroite", se caractérise par une montée des nationalismes qui confronte les ONGI à une politisation des crises, en particulier celles qui surviennent dans des Etats fragiles. Désireux de montrer à leurs populations et à la communauté mondiale qu'ils sont capables de gérer seuls des situations d'urgence, les gouvernements locaux délèguent de plus en plus les interventions humanitaires à leurs forces armées, ou bien à des associations nationales, locales ou confessionnelles qu'ils coordonnent. Résultat : les contrôles et les limitations de l'action des ONGI augmentent et leur prédominance se réduit, car elles entrent en concurrence avec les autres et principaux fournisseurs d'aide. 

Dans le scénario dit du "débordement", les acteurs humanitaires font face à une escalade spectaculaire des besoins du fait des crises écosystémiques qui s'intensifient sous l'effet du changement climatique et de la croissance démographique. Les Etats économiquement faibles s'avèrent incapables d'affronter ces défis, ce qui entraîne une augmentation significative des migrations. Mais les ONGI ont de plus en plus de mal à accéder aux communautés vulnérables, parce que l'espace humanitaire est soumis par les autorités nationales à des restrictions importantes, et que les donateurs institutionnels donnent plus aux ONG locales et/ou confessionnelles, voire aux intervenants militaires.

Le troisième avenir envisagé est marqué par une série de crises locales prolongées et une augmentation considérable des migrations involontaires. Dans ce scénario du "A chacun son domaine", de nouveaux réseaux d'intervenants (entreprises, fondations, mégalopoles, mouvements de citoyens) s'articulent autour de causes importantes comme la santé, l'eau, l'énergie ou la mobilité humaine. En raison des motivations variées de ces acteurs (par exemple pénétrer de nouveaux marchés ou accroître leur influence), certaines crises humanitaires peuvent être négligées, ce qui laisse présager un modèle d'assistance humanitaire à deux vitesses : des zones ou des situations économiquement, politiquement ou stratégiquement intéressantes, bénéficient de l'aide des nouveaux acteurs, alors que d'autres sont ignorées. Dans ces dernières, les ONGI traditionnelles et les ONG locales et confessionnelles restent prédominantes. Cependant, à mesure que le financement de l'action humanitaire se fragmente, la concurrence augmente considérablement, ce qui diminue les fonds disponibles pour les crises oubliées.

"(R)évolutions" est l'intitulé du dernier scénario esquissé. D'ici à 2030, les crises localisées demeurent des zones où se concentrent des besoins humanitaires, mais de nouveaux domaines critiques émergent à plus grande échelle, dus à l'intensification des crises écosystémiques. Comme dans le scénario précédent, les intervenants humanitaires informels, guidés par des intérêts personnels, prennent de l'importance. Mais, en incluant de nombreux acteurs locaux clés dans les zones touchées, leurs réponses sont plus stratégiques et plus durables. Pour les ONGI, le scénario "(R)évolutions" offre une opportunité de développer leur influence et leur expertise, estiment les rapporteurs. N'étant plus qu'un intervenant parmi beaucoup d'autres, les ONGI qui saisiront l'occasion de jouer un rôle moteur dans les changements, en renforçant les compétences des autres acteurs, comme les acteurs du secteur privé, les acteurs militaires et les ONG locales, demeureront un élément essentiel de l'ensemble du secteur humanitaire traditionnel comme informel.

Inutile de dire qu'il existe encore bien des incertitudes sur la façon dont l'environnement, les crises et les besoins humanitaires évolueront, concluent les auteurs. Mais une chose leur semble sûre : les intervenants traditionnels du secteur devront effectuer des transformations significatives dans leurs pratiques et mentalités pour ne pas être mis sur la touche. Il s'agit "d'explorer de nouvelles manières de travailler ensemble (y compris avec des acteurs qui ont été tenus à distance jusqu'à présent comme le secteur privé et les acteurs militaires)" et apprendre à agir préventivement pour améliorer, à long terme, la situation des communautés en difficulté.


Caroline Helfter

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