Ces dernières années, l’explosion de collectifs de jeunes
comme Génération précaire ou Jeudi noir est venue remettre en cause
les modes de militantismes traditionnels à travers la mise en place
d’organisations informelles, plus basées sur la camaraderie que sur des
structures constituées et utilisant des modes d’intervention dans l’espace
public spectaculaires et très médiatiques.
Le succès de ces actions a interpellé les associations «
traditionnelles » dont certaines ont dû réviser leurs pratiques afin de ne pas
prendre un grave « coup de vieux » face à ces jeunes collectifs qui pouvaient,
dans certains cas, mobiliser bien plus efficacement sur leurs causes.
Jacques
ION, sociologue (1), voit dans la montée de l’individualisme
tant décriée, une source d’engagement sous des formes très diversifiées, qu’il
faut appréhender autrement que selon les modèles d’organisation
et de représentation traditionnels. Alors… « Vive
l’individu autonome et affranchi ! » Et, « plus
l’individuation s’approfondit (autonomisation), plus le souci du collectif devient
impérieux. Le souci de soi n’est pas
contradictoire avec aller vers autrui. »
Collectifs et coordinations plutôt qu'associations traditionnelles ?
A l’appui du constat d’une
attirance mitigée, chez bon nombre de jeunes, pour des organisations trop
structurées, Cécile Coumau, coauteure de l’ouvrage
collectif « Bénévoles et vous ? »(2) relate comment Léa, une jeune bénévole de 25 ans
militante à Génération précaire, un groupement
se battant contre
l’exploitation des stagiaires, a fait le choix d’actions qui
aillent vite. Elle s’est ainsi tournée vers ce collectif car en trois ou quatre jours dit-elle, on montait une opération.
Selon la journaliste, ces structures relèvent plus de la « bande d’amis » que
de l’association et leur aspect quelque peu déstructuré attire ces jeunes en
quête de réinvention du bénévolat et moins « formatés » que les adultes.
Une nouvelle manière de militer « en
s’amusant » et en utilisant des
modes de mobilisation spectaculaires
modes de mobilisation spectaculaires
Et ces actions, même s’il y a des prédécesseurs comme Greenpeace ou Act Up, ont un impact politique si l’on veut bien considérer que
des personnalités politiques se montrent aux côtés de Génération précaire qui est maintenant un interlocuteur à part
entière et qui, malgré sa faible structuration, n’a pas du tout connu une
existence éphémère et compte toujours pleinement, des années après sa création.
L'article d'Ariane Dollfus, également coauteure du livre "Bénévoles et vous ?", qui relate comment l'irruption du collectif Don Quichotte est venue secouer le milieu associatif "traditionnel" de laide aux mal-logés, montre bien comment ces nouvelles pratiques peuvent amener les acteurs traditionnels à renouveler leurs méthodes. En ayant choisi comme action spectaculaire, en décembre 2006,de planter une centaine de tentes rouges en bordure du canal Saint-Martin à Paris, ce collectif a provoqué un retentissement médiatique tel qu'il s'est imposé dans le paysage du militantisme contre le mal-logement.
De ce fait
dit-elle, les acteurs traditionnels ont été amenés à se « réveiller » par
exemple en se fédérant alors que jusqu’ici ils fonctionnaient de manière très
cloisonnée, et changer leurs pratiques à
l’égard des SDF dont beaucoup étaient très critiques envers ces associations caritatives
classiques, se plaignant en effet d’être assistés sans vraiment avoir leur mot
à dire alors que les nouveaux acteurs privilégiaient l’écoute et la prise en
compte de leurs points de vue pour définir les prestations les concernant.
Le collectif Jeudi noir a également été un aiguillon
pour pousser les associations classiques à renouveler leur discours. Créé par
des étudiants mal logés en 2006, ce collectif, constitué uniquement de jeunes
dans ce cas a pratiqué le squat « dans un souci d’efficacité médiatique » mais
sur un ton beaucoup plus percutant que celui des grands acteurs traditionnels avec
cinquante ans d’existence dont il reprochait le ton misérabiliste. Et ces collectifs ont parfois influencé les grandes
associations si l’on prend l’exemple de la création au sein d’Emmaüs France de
la branche « Emmaüs Défi » qui a proposé une approche plus adaptée aux publics
en grande difficulté.
«Ces collectifs sauvages ne
seraient-ils pas en train d’écrire une nouvelle page de l’histoire du bénévolat
? » se demande Cécile Coumau. Il n’est pas du tout certain que les nouvelles
formes d’engagement soient exclusives des anciennes car, dans certains secteurs
les structures traditionnelles coexistent avec ces jeunes collectifs ou
adoptent des pratiques innovées par les
collectifs et mouvements « informels » Et si l’on considère le cas de
la jeune Léa, après avoir fait ses premières armes de bénévole à Génération précaire, elle a choisi de
rejoindre Amnesty international. Une trajectoire intéressante entre deux formes
de militantisme relativement différentes mais complémentaires en somme ?
Et les associations "traditionnelles" ?
Ne peut-on dire enfin que
ces nouvelles formes d’action relèvent davantage du champ politique, que
purement associatif, qu’elles sont davantage la traduction d’un refus de
s’engager au sein d’un parti politique, un refus du discours politique politicien tout
simplement. Le mouvement « Nuit debout » en est, semble-t-il, la
traduction.
Information de dernière minute : un nouveau "collectif" féministe vient de se constituer, imitant en cela les féministes islandaises. Lundi 7 novembre, il invitait les femmes à cesser le travail à partir de 16h34, heure au-delà de laquelle, en moyenne, les femmes travaillent bénévolement par rapport à leurs collègues masculins qui gagnent en moyenne 15% de plus qu'elles ! Une forme originale pour frapper les esprits sur un problème récurrent.
Sources :
(1)Jacques ION : "S'engager dans une société d'individus" (Armand Colin, 2012)
(2)"Bénévoles et vous", ouvrage collectif dirigé par Anne Dhoquois et préfacé par Stéphane Hessel (Editions Autrement, 2011)
Bernard Grozelier, Louise Forestier
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